AUTOUR DE LA LANGUE TAHITIENNE
- Plume des îles Tahiti
- 5 févr. 2017
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 26 août 2019
La langue tahitienne appartient à une vaste famille de plus de 400 langues, parlées depuis Madagascar jusqu'à l'île de Pâques : Les langues austronésiennes dites aussi malayo-polynésiennes. Le groupe polynésien rassemble une vingtaine de langues que les linguistes divisent encore en 2 sous-groupes.

Dans le sous-groupe oriental, fort de 8 langues, le tahitien forme une entité particulière avec le maori de Nouvelle-Zélande, le Rarotongien et les dialectes des Paumotu et des Australes.
Les ponts avec le maori sont coupés depuis bien longtemps et l'influence des autres langues sœurs est, depuis un siècle et demi, restée minime, se limitant à l'acquisition de quelques douzaines de termes.
En revanche, dès la fin du 18ème siècle, l'anglais puis le français ont été la source de très importants apports dans le vocabulaire et aussi de maintes corruptions de la syntaxe. Cette influence des langues européennes s'est exercée spontanément, par le truchement des échanges commerciaux et sociaux et aussi par l'intermédiaire d'une présence importante de locuteurs bilingues.
- Le 5 mars 1797, lorsque les missionnaires protestants anglais arrivent à Tahiti, l'écriture est inexistante. Les missionnaires débutent leur tâche en mettant au point une première notation alphabétique des sons.
- Après d'assez longs tâtonnements, ils parviennent au système de 5 voyelles et 10 consonnes, qu'ils utilisent d'ailleurs pour leurs premières impressions des livres bibliques.
- Une fois l'écriture mise au point, il restait encore à l'enseigner aux habitants, et les premiers livres qui sortirent de la presse installée à Afareaitu furent des abécédaires.
- Le vocabulaire s'enrichit avec l'introduction de nouveaux mots issus de la langue parlée des missionnaires, et voire même des langues latine, grecque ou hébraïque.
- La première traduction d'un livre de la Bible est imprimée vers 1817 par Henry Nott. Les missionnaires sont les grands pourvoyeurs des lecteurs de langue tahitienne.
- Aujourd'hui encore, c'est autour de l'église et surtout du temple que le tahitien apprend à parler sa langue avec élégance et pureté, nuançant son vocabulaire de mots peu employés dans la vie familiale.
A partir du 19ème siècle, une influence nouvelle, plus discrète, mais importante néanmoins pour la langue, va intervenir à son tour, celle des interprètes du gouvernement.
Le Protectorat Te Hau Tamaru, supposait la collaboration de fonctionnaires métropolitains qui, mis à part quelques illustres cas comme Xavier Caillet, ignorent généralement tout de la langue locale, et de notables tahitiens: la Reine, les chefs, les juges, qui, à de rarissimes exceptions près, sont incapables de comprendre le français.
L'interprète est donc un personnage indispensable dont le recrutement et la fonction sont réglementés avec soin.
Désignés par le Commissaire impérial, les interprètes sont attachés à un bureau de traduction dirigé par le Receveur de l'Enregistrement. Ce bureau est chargé de traduire les actes civils, les pièces nécessaires aux procès ou les actes passés devant les officiers publics. Selon l'ordonnance du 15 octobre 1851, toute transaction entre un «Indien» et un Européen nécessite une double expédition (en français et en tahitien).
De même que les missionnaires ont donné au tahitien moderne un vocabulaire religieux particulièrement complet, les interprètes l'ont doté d'un vocabulaire administratif et juridique très exhaustif et l'ont rendu apte à exprimer sans difficulté le langage des actes, jugements et textes législatifs.
Ce vocabulaire est souvent tiré du français. La méthode de travail des traducteurs de l'Administration n'est pas celle des missionnaires. Tandis que ces derniers livrent à l'imprimeur des traductions longuement mûries, pesées, les autres doivent traduire vite: l'arrêté de 1864 leur donne un maximum de 48 heures. De ce fait, leur traduction est souvent idiomatique.
Toutefois, nés dans la colonie, fils de missionnaires, de souche demie-tahitienne, les interprètes occupent une place où ils sont à même d'entendre les meilleurs orateurs et deviennent parfois eux-mêmes maîtres en la matière.
A partir de 1880, avec l'administration directe, leur importance décline peu à peu, mais ce corps de fonctionnaire continuera de comprendre dans ses rangs des amoureux de la langue tahitienne qui chercheront à la défendre.
Puis en 1951, Radio Tahiti s'installe et bientôt, avec l'apparition des transistors, la radio pénètre dans toutes les familles polynésiennes puis s'étend jusqu'aux îles voisines.
Dans ce pays de tradition orale, où l'on écoute plus facilement qu'on ne lit, la radio est appelée à exercer une grande influence.
On y entend entre autres les légendes de Tearapo … La radio devient une école où les Polynésiens découvrent peu à peu le monde, au gré des événements. Radio Tahiti devient le grand maître à parler des Tahitiens ; on adopte les termes qu'elle invente ou qu'elle ressuscite. Durant vingt ans, elle a été un des plus puissants antidotes à la détérioration de la langue.
Dès les années 1950, le succès du parti politique, le RDPT et surtout de son leader Pouvanaa a Oopa engage une attitude de reconsidération de la langue locale. En effet, celui-ci tient en échec l'administration et les politiciens en place. Les vaincus analysent les causes de leur défaite et constatent que le chef des autonomistes dispose d'une arme redoutable : la parfaite maîtrise de la langue tahitienne qui sert admirablement ses dons d'orateur populaire. Par la suite, le retour des premiers étudiants tahitiens, tous très soucieux de cultiver l'originalité de leur petite patrie, défendent haut et fort la langue de leurs ancêtres, même s'ils ne la maîtrisent pas et souhaitent ardemment la redécouvrir, montrant du doigt le système éducatif occidental.
Les années 1970 sont très importantes, car on assiste à une mouvance nouvelle. Un peu partout dans le monde, les langues des minorités s'organisent, reprennent confiance en elles-mêmes ou revendiquent violemment leurs droits en face des grandes langues de communication internationale. Ces idées pénètrent également dans le Pacifique et sont mises en application dans les territoires nouvellement indépendants ou en marche vers l'indépendance. En Polynésie, l'apprentissage du tahitien dans l'enseignement scolaire attendra encore quelques années avant de se mettre en place. Toutefois, la demande existe de la part des étudiants qui suivent des cours du soirs ; des linguistes, professionnels comme amateurs s'intéressent au Reo Ma'ohi.
Une académie tahitienne pour conserver et promouvoir les langues polynésiennes
L'idée d'une Académie tahitienne semble être née simultanément et séparément chez deux hommes. Il s'agit de Martial Lorss, ancien greffier du tribunal d'appel de Papeete - 1955, le spécialiste reconnu de la langue tahitienne et de John Martin, directeur du programme en tahitien de Radio Tahiti.
L'un et l'autre réalisent la nécessité d'une autorité collective pour désigner les règles du bon usage et pour enrichir le vocabulaire de tous les termes qui font encore défaut à la langue pour qu'elle puisse devenir une langue de communication moderne. Le 2 juillet 1974, le gouverneur D. Videau présidait, dans la salle du Conseil du gouvernement, la séance inaugurale de l'Académie tahitienne.
Ainsi, s'achevait un processus de 7 années, déclenché par la demande officielle du conseiller territorial John Teariki et entamé le 30 août 1967 par l'approbation en Conseil de gouvernement, présidé par le gouverneur Jean Sicurani ( gouverneur à Tahiti du 14 janvier 1965 au 4 février 1969 ) , du principe de la création d'une Académie de la langue tahitienne. D'où vient le nom de l'académie?
Le nom de Fare Vana'a, désigne en tahitien l'Académie Tahitienne rappelle une institution des anciens villages polynésiens .
La jeunesse se rendait au fare vana'a où des vieillards l'instruisait des légendes de l'île, des généalogies des chefs.
En mémorisant les traditions de leur peuple, les jeunes apprenaient également le beau parler.
Les premiers travaux de l'Académie consistèrent en la préparation d'une grammaire et d'un lexique élémentaires afin d'offrir une base solide et amorcer l'élaboration d'une grammaire complète et d'un dictionnaire complet bilingue, en considérant attentivement les règles de grammaire, la prononciation, l'orthographe, le vocabulaire, et en l'enrichissant de nouveaux termes.
L'ouvrage de la grammaire complète fut achevé en 1974, quant au dictionnaire bilingue, il est toujours en cours de réalisation; la partie tahitien/français est terminée, la partie français/tahitien sera entreprise dans les mois à venir.
[Source: L'Académie tahitienne - Hubert Coppenrath - Journal de la Société des Océanistes Année 1975 48 pp. 262-300]
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