Notre mot “écrire ” vient du latin scribere “tracer, gratter, inciser” d’où “tracer des caractères”. On retrouve:
en indo-européen *Ker/ Sker “idée de découper, inciser”,
en Sanscrit krtih “couteau”,
en français “court”,
en anglais "short".
Forme élargie *Squeribh “inciser” :
en allemand schreiben ;
en français “scarification”,
du grec grapho “incision ” (–> *Gherb “égratigner”).
Mais, l’anglais write provient du vieux gothique writan “entailler, égratigner, rayer” ,
C’est donc « l’habileté à entailler, à graver les Runes » (Wardle) ; writan s’est transformé en ritzen et en scandinave rita .
Merci à Tristan Mandon "les origines de l'arbre de Mai"
significations:
tracer des signes, les organiser en un système qui signifie ou représente
consigner, noter par écrit
rédiger (écrire à quelqu'un, écrire ses mémoires)
orthographier
composer une oeuvre par l'écrit (musique, littérature)
en informatique, inscrire magnétiquement sur un disque
soutenir, avancer que, dans un ouvrage écrit
Ecrire, c’est gratter
L’origine du mot écrire nous renvoie à la nuit des temps. Son étymologie en ravive le sens et le baigne de magie.
Ecrire appartient à la famille des mots créés à partir de sker, une racine indo-européenne. L’indo-européen est une hypothétique langue qui serait la mère des centaines de langues dites “indo-européennes” vivantes ou mortes (langues grecque, latine, romane, perse, germaniques, slaves, celtes et baltes…). Nous n’avons pas trace écrite de cette langue qui aurait été parlée par un peuple ancien. Cependant, la linguistique comparée et la phonétique historique ont permis d’en reconstituer des éléments (lexique…). La langue, la culture, les croyances de cette peuplade ancienne se seraient répandues à travers l’Europe entière.
sker : gratter, inciser
La racine d’écrire est sker : gratter, inciser.
sker serait lui-même une extension de la racine (s)ker-, couper (des parts de viande) *
Inciser ?
Il y a 6000 ans, les supports des premiers écrits sont la pierre, les cailloux (les calculi) et les tablettes d’argile, celles d'Uruk par exemple. Sur ces supports, pour y inscrire les caractères comptabilisant des biens, écrire c’est gratter ou inciser.
On grave, on entaille pour garder une trace, pour mémoriser. Mais pas seulement. Ce qui est gravé a force de loi : voyez la table des 10 commandements, 20 courtes phrases, si simples à mémoriser grâce à leurs rimes.
Sker ? un beau score
La racine sker se retrouve dans nombre de langues indo-européennes.
En grec ancien, le stylet permettent d’écrire est le skariphos. Skariphastai signifier inciser légèrement. Un dérivé savant en français est scarification : l’incision superficielle faite, par exemple, par le médecin pour provoquer un écoulement de sang. Le latin utilise scribere, tracer des caractères, et ses dérivés describere, conscribere, proscribere (afficher, afficher le nom d’un condamné à mort, sans formes judiciaires et qui, en certaines circonstances, pouvait être exécuté par quiconque)…
En français, la racine se devine dans escrivre. Ce verbe a subi l’influence de lire pour devenir écrire. La racine, sur la base de scrit ou script , se retrouve aussi dans manuscrit, scribe, conscrit, inscription – par exemple d’un texte gravé, circonscription – étendue autour de laquelle une limite a été fixée-, téléscripteur…
En anglais, voyez Scarface, le balafré, ainsi que le mots score du XIXème siècle signifiant, comme l’ancien scandinave skor : entaille, marque, incision sur un bâton. Le français le reprendra avec son dernier sens compte de points. Je me suis laissé dire qu’en wallon skâr est une déchirure : il a fé in skâr a s’marone, il a déchiré son pantalon…
Écrire de manière incisive
Ecrire, c’est gratter : du sens originel, il reste, par exemple, griffonner, le péjoratif gratte-papier et, curieusement, l’expression graver un CD.
Avec nos feutres et claviers, nous avons perdu le lien entre le mot écrire et la matière à creuser, sa dureté, les caractères à tracer.
Le papier ne crisse plus sous la plume – auparavant taillée – et la calligraphie est un art du passé.
J’ai un stylo, c’est suranné. Pourtant, l’odeur et les taches d’encre sur les doigts raccrochent au réel. Mais nous n’écrivons même plus beaucoup à la main. L’écriture de nos proches nous est souvent inconnue. Découvrir l’écriture manuscrite d’un homme ou d’une femme en devient parfois sensuel, presque indécent : un nouvel érotisme.
Ce n’est pas de la nostalgie, bien sûr. Mais en perdant le sens de la matière et de sa dureté – et cette perte culmine parfois dans le copier-coller coller ! -, nous oublions parfois ce que connote le mot écrire : l’effort et la profondeur, l’économie de mots et d’espace, la beauté des caractères tracés.
sker contient et rappelle l’essentiel de l’acte d’écriture : écrire incisif et marquer les esprits.
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* De (s)ker-, couper (des parts de viande) découlent en latin les noms corium, peau, cortex, écorce et caro, carnis, chair, viande.
En français, cela donnera des mots en –cori-, en –cort– et de plus nombreux en carn– : coriace, excorier, décortiquer, …, carné, carnation, carnaval, carnage, carnassier, carnivore, incarner…
Charcutier. Acarien également.
Pour la petite histoire, acarien est un descendant français du grec κειρω, keirô , couper. Ce verbe a engendré ακαρης, akarês : trop court pour être coupé.
_____Références _____
Les grandes familles de mots par Jean-Claude Rolland (2011)
Le Robert – Dictionnaire étymologique du français- Jacqueline Picoche (2008)
A lire sans doute, LES INDO-EUROPEENS, Bernard Sergent. éd. Payot, 1995 [Bernard Sergent : agrégé d’histoire, docteur en histoire ancienne et archéologie…, chercheur au CNRS]
Tags: #écrire #origine #étymologie
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